S. Kolupaila. Le Niémen. Le régime

Le régime

Le gel des cours d'eau en hiver. - Ces froids ont encore pour conséquence un phénomène essentiel dans l'hydrologie de l'Europe orientale : le gel durable des cours d'eau. Là-dessus des précisions ne seront pas inutiles.
L'hiver lithuanien commence en novembre-décembre. Sous l'influence des basses températures, il se forme dans le fleuve, au contact du fond pierreux ou sableux, des paquets de glace spongieuse, lesquels se détachent du lit, remontent en surface et sont emportés par le courant. Ainsi se produit le phénomène caractéristique appelé passage de la glace d'automne.
L'aggravation des froids fait que les plaques de glace flottante couvrent peu à peu toute la surface du fleuve. Puis elles se soudent et s'immobilisent, généralement à partir de l'embouchure. Au moment où se produit cet arrêt, la couche glacée qui recouvre le plan d'eau présente une épaisseur relativement considérable et qui croît encore par la suite jusqu'à atteindre 0 m. 80  et 1 mètre.
Au printemps, normalement en mars ou avril, la carapace glacée, soulevée par le flot que grossit la fusion nivale, se brise en grands blocs; ceux-ci s'ébranlent vers l'aval et donnent lieu au passage des glaces printanières. La débâcle commence en général vers l'amont. Elle marque le début de la grande crue printanière.
Les dates d'apparition de la glace d'automne, de gel complet et de débâcle sont données dans le tableau IV.


Tableau IV.
Gel et dégel sur le Niémen.

Gel et dégel sur le Niémen


Le Niémen est dome libre de glaces pendant 240 jours par an en moyenne. Pendant presque tout ce temps, la navigation est possible.
En hiver, malgré la faiblesse du débit, les hauteurs aux échelles sont relativement élevées, parce que la rugosité de la glace ralentit le courant. Pour évacuer une certaine quantité d'eau, il faut alors une section mouillée sensiblement plus grande qu'en période d'écoulement libre.

Calcul des débits. - Dans ces conditions, pour calculer les débits, on ne prend pas les chiffres Q que procurent en fonction de la hauteur H les courbes résultant des jaugeages faits en dehors du temps de gel. On obtient le débit réel Q' en réduisant Q par un coefficient К variable suivant la date et déterminé d'après la méthode originale de l'auteur8. Un exemple de ces corrections est donné dans la figure 5.

Hauteurs et débits du Niémen a Birstonas en 1934

Fig. 5. - Hauteurs et débits du Niémen a Birstonas en 1934.

Dans la partie inférieure de la figure, le trait plein représente les débits réels Q' ; le trait pointillé figure les débits Q qu'on aurait en fonction des mêmes hauteurs à l'échelle si le courant n'était pas emprisonné par la glace.
A mi-hauteur, à gauche, on voit les valeurs successives de К = Q' : Q, durant le gel du fleuve, et en fonction des jaugeages opérés sous la glace.


Dans sa partie inférieure, du 10 décembre au début de mars, la ligne pointillée indilque les débits Q à Birstonas tels qu'ils résulteraient de la courbe applicable en période normale et représentée par l'équation : Q = 34,5 (H + 1,95) 2. Le trait plein, le plus bas, montre les débits réels Q' obtenus grâce à l'emploi du coefficient K; les valeurs successives de celui-ci, résultant ďe jaugeages sous la glace, sont données en fonction du temps par la courbe insérée vers le milieu de la figure, à gauche. On y voit que, vers le 15 décembre, le débit réel était à peine supérieur à 30 % du chiffre voulu par le barème normal; la réduction n'était pJus que de moitié au moment où commença la débâcle. On voit encore qu'à ce moment une cote de 5 m. 40 n'impliquait pas un débit égal à 700 me, tandis qu'à la fin d'avril, le fleuve étant libre de glaces, un niveau de 5 m. 07 s'accompagna d'un débit voisin de i.700 me.
Pour Smalininkai, nous aurions pu fournir des précisions analogues. En ce point, les équations du débit, en dehors de la période de gel, sont les suivantes :
Q = 3,37 (H + 3.00)3, pour H ≤ 3 m.
log Q = 0,180 H + 2.322, pour H > 3 m.
Sur nos diverses courbes, les points marquant les résultats des jaugeages ne sont point toujours parfaitement alignés. Ceci provient d'une certaine instabilité des lits. Nous avons opéré quel ques corrections pour tenir compte de ce phénomène. En outre, pour Smalininkai, nous disposions d'une série d'observations couvrant plus d'un siècle. Dans la dernière moitié de cette période, on n'a point fait de jaugeages. D'après divers indices, nous avons admis durant ces années, et surtout de 1812 à 1870 à peu près, un exhaussement graduel du lit que nous avons essayé de chiffrer. Les résultats de ces calculs ont été communiqués à la quatrième conférence hydrologique des pays baltes9quant aux observations journalières de hauteurs pendant cette longue suite d'années, l'Annuaire du Bureau hydrométrique lithuanien les a publiées10.
C'est d'après ces données que nous avons calculé les débits caractéristiques du Niémen moyen à Birstonas (tableaux V et VI) et du Niémen inférieur à Smalininkai.


Tableau V.
Débits moyens mensuels du Niémen à Birstonas en m3/sec.

Débits moyens mensuels du Niémen à Birstonas


Tableau VI.
Débits moyens, extrêmes et caractéristiques du Niémen à Birstonas.

Le régime saisonnier


Le régime saisonnier


Le régime saisonnier indique uni maximum principal d'avril dû surtout à la fonte des neiges, un minimum principal d'été explicable malgré les fortes pluies par l'intensité de l'évaporation. Celle-ci diminuant rapidement en automne, en même temps que la température se rafraîchit, il se dessine un faible maximum secondaire de novembre. Enfin la rétention nivale engendre un minimum secondaire d'hiver, avec moyenne la plus basse en février. C'est le régime nival de plaine, mais très mitigé, bien moins typique et brutal que dans les régions plus orientales ou septentrionales soumises à des froids plus intenses et plus durables11. On peut même qualifier une telle hydrologie de phivio-îiivale de plaine.
Quant au débit moyen annuel (2Q2 m3), il est un peu inférieur à celui de la Seine à Paris; il correspond à 6,70 lit.-sec. par km2, soit un indice d'écoulement de 211 mm., un déficit de 389 mm. puisque les précipitations moyennes atteignent 600 mm. et un coefficient d'écoulement de 0,352. Pour la Seine, la perte annuelle est plus considérable : environ 475 mm., à cause de températures plus élevées. Mais dans l'Est de la Russie, les déficits deviennent plus petits que dans le bassin du Niémen.
A Smaliminkai, sur le cours inférieur, le régime de 121 années peut sie caractériser par les chiffres suivants, très voisins de la réalité, si le lit s'est bien exhaussé en ce lieu, comme niouis avons des raisons de le croire12


Tableau VII.
Niémen à Smalininkai.

Niémen à Smalininkai


Comme on pouvait s'y attendre, ces chiffres indiquent un régime presque identique à celui du Niémen moyen à Birstonas. En particulier, Le module relatif, le coefficient et le déficit d'écoulement sont les mêmes.
Si l'on admet pour tout le bassin (98.102 km2) un débit moyen annuel relatif identique à celui de Smalininkai, l'apport intégral du fleuve à la mer s'élève à 660 m3/sec. ou 20,83 km3 par an.
L'excellent hydrologue allemand H. Keller, dans sa monographie précieuse du Niémen, donne pour le volume total de ce fleuve à Tilsit 17,8 km3 par an, ce qui ferait 19,1 pour le bassin entier, chiffres très probablement inférieurs à la réalité.
Nous évaluons comme il est marqué au tableau VIII l'augmentation des débits tout le long du cours, en admettant 558 me. à Smalininkai, au lieu des 546 marqués au tableau VII. Les plussujets à caution de ces chiffres se rapportent au cours supérieur.


Tableau VIII.
Modules du Niémen et de ses affluents.

Modules du Niémen et de ses affluents


8Kolupaila (S.), Ecoulement des cours d'eau pendant la période de congélation. Madrid, 1931.

9Kolupaila (S.), Die Bestimraung des Abflusses des Memelstromes (Nemunas), 1812-1932. Leningrad, 1933.

10Hidrometrinis Metrastis II. Kaunas, 1930.

11Pour toutes ces questions, nous renvoyons au Mémoire suivant : Kolupaila (S.) et Fardé (M.), Le régime des cours d'eau de l'Europe orientale (Revue de Géographie alpine, t. XXI, 1933, fasc. IV, p. 051-748, 12 fig.).

12A vrai dire, l'exhaussement réel du lit a dû être supérieur à nos évaluations. Celles-ci attribuent donc des débits trop faibles aux années anciennes. Fort probablement le module réel à Smalininkai doit avoisiner 560 ou 565 me. au lieu de 546 me. indiqués ci-dessus.

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